Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/212

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de l’autre je voyais une plaine immense dont les hautes moissons avaient le mouvement d’une mer caressée par la brise. Il faut que j’aie été bien préoccupé depuis quelque temps pour n’avoir pas fait attention au changement qui s’est opéré dans la campagne. Les fourrages et les céréales ont poussé avec tant de vigueur, que je ne reconnais plus la place des petits chemins, et que les pommiers, plongés dans cette puissante verdure, semblent s’être enfoncés en terre. Les maisonnettes, basses, éparses dans la campagne, plongent aussi jusqu’à leurs petits toits dans une forêt d’épis. La fertilité de ce sol est presque effrayante. Il faut dire aussi que le paysan travaille sa terre quatorze heures par jour et n’y laisse pas un brin de plante parasite. La féconde nature s’en rit, car toutes les mauvaises herbes, rejetées sur le bord des chemins ou le long des fossés, poussent là, les unes sur les autres, avec une sorte de folie. Je n’ai jamais vu de fleurs et de graminées sauvages si fières et si dévergondées. Les ruisseaux ne voient plus le soleil, et la terre semble étouffée sous cette toison qui l’opprime. Les arbres sont si chargés de fruits, que leurs branches traînent dans le foin avec des attitudes de fatigue et d’accablement. Au milieu de cette richesse inouïe, la campagne a quelque chose de pesant et de morne qui m’a passé dans l’âme. M. Sylvestre eût fait des réflexions sur ce luxe de la terre qui déborde sans que l’aisance ait pénétré dans la classe qui cultive et récolte. Moi qui ne me pique pas de tendresse humanitaire, j’étais tout bonnement triste et las quand je suis rentré à la Tilleraie.