Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/232

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— Qui sait ? Dites-moi que vous ne l’êtes pas.

— Je mentirais. Je suis jaloux de tout le monde ; mais je vous estime trop pour ne pas me rassurer sur ce qui vous concerne, et ma reconnaissance…

— Oh ! mon cher ami, m’écriai-je un peu irrité, ne parlons pas de cela ! Je ne veux pas de votre amitié, si elle est le prix d’un prétendu sacrifice. Ce sacrifice-là serait au-dessus de mes forces, et je vous jure que je ne le ferais à personne. On doit sacrifier son amour au bonheur de la personne aimée, on ne peut le sacrifier à aucun autre homme. Je ne vous sacrifie donc rien. Je n’aime personne. Ne me remerciez jamais, si vous ne voulez pas m’offenser mortellement.

— Vous avez raison, répondit Gédéon en me serrant impétueusement la main ; vous me donnez une leçon que je comprends et que je ne mériterai plus.

Dans la soirée, madame Duport m’a pris à part aussi. Moins sincère et, par conséquent, moins habile que son cousin Gédéon, elle m’a laissé voir clairement, à travers ses ruses, qu’elle comptait me faire épouser Jeanne. C’est, je le crois, une sorte de vengeance du refus que j’ai fait d’elle-même. Il lui plaît de me mettre en contradiction avec mes principes, et, comme cette femme n’en a pas, elle s’imagine que j’en viendrais fort bien un jour, après avoir refusé par ostentation la dot de Jeanne, à m’accommoder sournoisement de son héritage. Je l’ai remerciée avec amertume de la charmante opinion qu’elle a de moi, et elle s’est tirée d’affaire avec des plaisanteries. Elle a l’esprit mordant et spontané qui pallie dans le monde l’absence du jugement ; mais je ne lui pardonne pas, moi, et, si Jeanne n’était en somme une honnête créature,