Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/251

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des moments… Mon cher Philippe, je veux te dire bien naïvement ce qui ce passe en moi. Tu m’as souvent reproché de marcher sur des petites échasses de ma façon, et de vouloir être plus grand d’une coudée que ma taille naturelle. C’est peut-être vrai, je n’en rougis pas ; je crois que nous sommes tous ainsi, et peut-être faut-il qu’il en soit ainsi pour que nous tirions de notre petite stature tout le parti possible. Vouloir se grandir, c’est aspirer au grand. Il me plaisait, je te l’avoue, d’avoir assez profité de mes études et de mes réflexions pour m’élever au-dessus des passions factices et des idées fausses. Je ne suis pas un sot pour cela ; mais je puis bien être un homme faible encore et forcé de rester un peu en arrière de son ambition. Reçois donc ma confession entière ; oui, je regrette que mademoiselle Vallier ne puisse être rien pour moi, et son mariage avec Gédéon me fera souffrir. Je ne puis croire que j’éprouve de l’amour pour une femme qui n’a jamais daigné songer à m’en inspirer. Je suis donc persuadé que mon regret est un mauvais sentiment et que je dois le combattre. C’est de la personnalité jalouse, de l’amour-propre blessé ; c’est le dépit de voir apprécier un mérite qui n’a pas apprécié le mien ! Mais je m’en suis très-bien défendu. Je ne l’ai pas laissé paraître ; je ne me suis pas permis d’y songer ; j’ai assez bien travaillé quand même. Je suis certain d’assister avec dignité et cordialité au mariage ; je veux même y assister, être le garçon d’honneur de Gédéon, s’il le faut. Je veux rester son ami, je veux dire et penser de sa femme tout le bien possible. Encore une fois, et bien que je sois peut-être la proie d’une sotte souffrance, je ne suis pas un sot, car, cette souffrance, je la surmonterai.