Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/270

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page n’a pas encore été corrigée

rance ou de folie ; mais dans le monde troublé où nous vivons il n’en est pas ainsi. La misère peut être grandeur, et la richesse vertu. Tout dépend des hasards, des nécessités, des charges mal réparties, des obligations anormales, enfin de tout ce qu’il y a de factice ou de fatal, de brutal on d’aveugle dans un monde en voie de transformation depuis la base jusqu’au faite. Il ne faut donc pas dire d’un homme qu’il est bon ou mauvais parce qu’il est riche, ou parce qu’il est pauvre : il faut connaître sa vie ou réserver son propre jugement.

— Moi qui vous parle, ajouta-t-il, j’ai beaucoup travaillé pour devenir riche. Mes parents ne m’avaient pas enseigné d’autre science que celle de faire de l’argent avec de l’argent. Ils exigeaient que toute ma volonté, toute mon intelligence, toute mon énergie, tout mon temps, fussent consacrés à cet aride labeur. Et, comme mes instincts s’y refusaient un peu, j’étais menacé de leur malédiction. J’ai cédé à leur vœu, et j’ai senti la fièvre du gain, qui est une passion de joueur, se développer en moi, me changer, me transformer et m’enivrer, comme il arrive à tous ceux qui font violence à leur nature pour se jeter dans l’extrême ; mais j’ai eu le bonheur de m’arrêter à temps. Redevenu libre, j’ai quitté les affaires, et je n’en fais plus que pour rendre service aux autres. J’ai senti la force des affections, et j’ai compris que le bonheur était là. Je crois être dans le vrai et n’avoir pas grand’chose à me reprocher, car si j’ai eu, d’abord comme insouciant et ensuite comme ambitieux, une première jeunesse assez mal réglée, j’ai eu la victoire d’une maturité assez saine, et me voilà riche sans être ni un aigle ni un idiot, ni un coquin ni un grand homme.