Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/32

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c’est une question d’intérêt, sinon général, du moins collectif, car ma petite histoire personnelle est certainement celle de plusieurs autres. Je ne suis pas le seul qui, du jour au lendemain, se trouve jeté sans ressources et sans appui dans ce grand sauve qui peut de la société. Je ne suis pas le seul déclassé qui puisse se dire innocent de son désastre, qui apporte des forces neuves et une conscience nette à l’édifice d’une civilisation parfaitement indifférente à son impuissance, s’il échoue, mais toujours prête à s’enrichir de son apport, s’il lui apporte réellement quelque chose.

Supposons donc que les lettres que je t’écris soient l’exposition d’un roman, pourquoi procéderais-je autrement, si je voulais écrire une fiction ? Je n’y mettrais pas plus de prétention, pas plus de fioritures, pas plus d’emphase, et cela aurait au moins un mérite, celui de la vraisemblance et de la sincérité.

Tu vois que je ne me battrai pas les flancs pour entrer en matière. La première idée qui me viendra, je la développerai, et, si le développement ne vient pas de lui-même, je me dirai que l’idée n’est pas juste, et j’en tâterai une meilleure.

Tu t’inquiètes encore, je parie, de cette phrase : la première idée qui me viendra. Tu trouves qu’il est temps qu’elle vienne. Eh bien, c’était une manière de dire : elle est venue, et je m’y suis arrêté. J’ai commencé à la rédiger, et, selon la tournure dogmatique ou riante qu’elle prendra, elle deviendra philosophie, critique, roman ou pièce de théâtre. Jusqu’à présent, elle est de pure discussion. J’attends qu’elle soit dégagée pour savoir sous quel vêtement il conviendra de la présenter.