Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/33

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La pluie n’a guère cessé depuis huit jours que je suis ici. Les chemins n’ont pas eu le temps de sécher, et je n’ai pas été tenté de barboter dans ces prés humides. Le désagrément d’y marcher avec effort ou précaution me gâterait peut être l’impression caressante que m’apporte la vue de ce joli paysage. Je l’ai contemplé de ma fenêtre à toutes les heures ; il est toujours joli, et par moments il est splendide. C’est pourtant une petite vue, peu variée, une nature bocagère dont le caractère principal est la sérénité et la douceur. Rien de dramatique : on ne saurait avoir ici de pensées shakspeariennes ou dantesques. C’est une idylle élégante qui plane sur l’esprit et qui chante dans l’imagination. En réalité, il y règne un silence que je croyais introuvable à une si faible distance de Paris. J’y suis impressionné surtout par l’attitude de ces grands peupliers hardiment élagués jusqu’au tiers de leur hauteur, et balançant au moindre vent leurs têtes déliées. Ils insinuent l’idée de la distinction et de la dignité bienveillante. Il semble qu’on doive s’attendre à voir passer en été, sous leur ombre claire, des nymphes blanches, minces et grandes, un peu princesses et un peu bergères, aimables bien que mélancoliques, se laissant regarder sans pruderie, causant volontiers à voix basse avec le voyageur, mais ne souffrant aucune familiarité bourgeoise et aucune équivoque banale.

Il est étrange que je sois tombé du premier coup, et par l’ordre du hasard, au sein d’une nature complètement sympathique. Il y a autour de Paris mille aspects plus frappants et plus riches que celui-ci ; mes promenades ne m’en avaient jamais fait découvrir aucun qui sentît moins les approches d’une grande