Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/323

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qui nous le donne, humble ou magnifique, ardent ou calme, enivrant ou gracieux, comme elle donne le talent ou le génie selon l’organisation qui se manifeste. Et je pourrai bien ajouter que, pour la jeunesse, le véritable et le plus bel emploi de la vie, c’est l’amour !

En rentrant chez moi, j’ai trouvé M. Sylvestre seul, très-accablé d’abord, car il m’aime, le cher homme, et je crois que, s’il m’arrive malheur, il me regrettera beaucoup. En me voyant si joyeux d’avoir trouvé ma conclusion, il a repris courage. Il a consenti à dîner avec moi, et nous avons discuté et philosophé deux bonnes heures. Il n’est pas mécontent de ma formule. Il voudrait bien que je fisse une petite réserve pour le bonheur absolu dans les temps futurs ; mais je n’en suis pas encore là.

— Laissez-moi vieillir, lui dis-je ; j’arriverai peut-être à croire comme vous que l’homme est indéfiniment perfectible en me sentant perfectible moi-même. Certes, si j’emploie bien ma vie, si je connais les joies de l’amour partagé, si j’ai des enfants, je deviendrai meilleur, plus actif et plus intelligent que je ne suis. Qui sait si, quand j’aurai atteint votre âge, je ne me sentirai pas assez purifié et assez grandi pour penser comme vous ?

J’avais oublié absolument que je me bats demain. Je me le suis rappelé en voyant l’ermite se détourner pour me cacher deux grosses larmes qui roulaient dans ses gros yeux noirs. Oui, mon ami, c’est demain, à cinq heures du matin, que la querelle sera vidée auprès de l’Ermitage. Gédéon est fort au pistolet, et je n’y entends rien ; mais nous sommes à peu près égaux à l’épée : on a décidé que ce serait notre arme.