Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/44

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il n’en est pas moins vrai que ce choc toujours imminent m’empêchait de respirer et de vivre. Et puis la vie qui m’était faite grâce à lui, mes relations, mon milieu, mes occupations, rien de tout cela n’était affaire de mon propre choix. J’aime l’imprévu, et il ne m’était pas permis de m’y livrer. La crainte d’abuser d’une situation que je savais précaire, puisqu’au premier attentat sérieux contre ma conscience j’étais résolu à rompre, me rendait sceptique et soucieux. Je sentais des entraves à tous mes désirs, je voyais sur tous les chemins de mes fantaisies les plus innocentes ou de mes vœux les plus légitimes des obstacles vains et bizarres se dresser pour m’attendre, me frapper au cœur et me repousser brutalement. Je portais au dedans de moi mes convictions comme un mystère, toujours prêt, s’il m’échappait un cri de l’âme, à entendre mon rude bienfaiteur m’appeler ingrat, et mon frivole entourage me traiter de fou. Non, ce n’était pas vivre, car tout commençait à me peser, et je me sentais amoindri par un secret dégoût de moi-même. Je voulais échapper à cet étouffement par le travail : il me fallait disputer mes heures aux amis oisifs ou à ce qu’on appelle, Dieu sait pourquoi, les devoirs du monde, comme si c’était un devoir de se laisser ennuyer par des gens qu’on n’amuse pas ! Mon travail sans cesse troublé, jamais encouragé, devenait stérile, et, je te l’ai dit souvent, je te l’ai écrit, surtout dans ces deux dernières années, je sentais le besoin d’une impulsion que je ne savais où prendre autour de moi. Tu me répondais que j’avais besoin d’aimer. Je crois que tu te trompais, car je n’aime pas, je ne songe pas à aimer, et me voilà rendu à la possession de ma volonté. Le bonheur serait-il donc l’entière possession