Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/45

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de soi, dans le sens intellectuel et moral ? Je ne parle pas de l’entière liberté d’action, elle n’est pas dans la pauvreté, et même elle n’est pas de ce monde. À celui qui voudrait toujours marcher devant lui en ligne droite, il faudrait ne rencontrer ni rivières, ni précipices, ni propriétés protégées par un garde champêtre. Il ne serait pas besoin de la chute du Niagara, il suffirait d’un carré de pommes de terre pour forcer l’amant de la ligne droite à une notable déviation. Nous ne sommes donc pas libres dans le sens matériel du mot, et je ne trouve à cela rien de révoltant. Chercher à vaincre par l’esprit cet éternel obstacle du fait est dans la mission de l’homme, et sans ce travail éternel nous serions les êtres les plus tristes et les plus stupides de la création.

Mais cette indépendance intellectuelle, n’est-ce pas assez ? n’est-ce pas tout ? J’ai envie d’aller le demander à ce bon vieux qui a placé sa félicité dans la pêche à la ligne ; mais d’abord réponds à ma question. Je tiens beaucoup plus à ton avis qu’au sien. Bonsoir, ami, ou plutôt bonjour, car il est deux heures du matin. Il fait un clair de lune éblouissant ; le temps se met à la gelée, et les étoiles en tressaillent de joie dans la profondeur du ciel bleu. — À propos d’étoiles, en voici une de contrebande qui brille au loin derrière les branches en face de moi. C’est la fenêtre de ta maisonnette inconnue. L’habitant de cet ermitage est-il comme moi en train d’écrire ses rêveries à un ami absent ?… Est-ce tout simplement un jardinier qui se dispose à porter ses carottes ou ses violettes au marché ? Est-ce une gaillarde fille de campagne qui donne le signal à son amoureux, ou tout simplement mon pêcheur à la ligne qui subit patiemment l’in-