Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/65

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— Ah ! c’est-à-dire qu’il apprendra à se laisser arracher les oreilles sans faire la grimace ?

— Il est farceur tout plein ! dit M. Aubry à mon oncle en riant d’un rire macabre. Allons, j’aime qu’on ait de l’esprit et qu’on soit même un peu taquin. Je vais voir si la petite a fini sa sieste, car je l’ai mise aux bonnes habitudes. De midi à quatre heures, une femme doit dormir ; autrement, elle s’ennuie et vous tracasse. Attendez-moi là un peu.

Il ouvrit une porte qui se trouvait tout près de nous ; mais, au moment où il entrait dans la pièce voisine, le grand noir vint lui dire qu’on lui apportait de l’argent en échange d’un objet vendu la veille, et il suivit le noir sans songer à refermer la porte du boudoir où dormait sa fille. Je me plantai hardiment sur le seuil pour la regarder, sans que mon oncle, ébahi de ma docilité, songeât à me faire la moindre observation.

Le boudoir, très-sombre et presque froid, n’était autre chose que le magasin aux hamacs. Il y en avait de toute matière et de toute couleur roulés le long des parois ; quelques-uns formaient tapis sur le sol, et au beau milieu de tout cela dormait sur un de ces hamacs ouvert et accroché à des crampons une espèce de paquet de mousseline blanche qui me parut informe ; à côté, à genoux par terre et tenant dans ses mains pendantes la corde végétale qui lui avait servi à bercer sa jeune maîtresse, une affreuse négrillonne dormait aussi. Je crois que toutes deux ronflaient. Je m’enhardis à faire deux pas pour aller contempler mademoiselle Aldine Aubry ou plutôt Sméraldine, car je n’ai jamais oublié son nom. À l’époque de sa naissance, monsieur son père, ayant fait une bonne affaire d’é-