Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/83

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son de dire dernièrement avec esprit qu’à ce compte le bonheur serait une mosaïque.

— Je vois qu’au fond de votre thébaïde vous vous tenez au courant des idées et des travaux littéraires.

— Oui, monsieur, je vais une fois par mois à Paris par le chemin de fer, pour mes sept sous, troisièmes places. J’entre dans un cabinet de lecture et j’y passe la journée. Je serais plus heureux si je ne vivais qu’avec mes propres idées, qui sont riantes, tandis que les idées de ce temps-ci sont tristes et que la critique n’est pas par elle-même une chose gaie ; mais je me dois d’agir ainsi pour entretenir le contrôle de ma raison sur mes rêveries un peu enthousiastes. Grâce au ciel, je les retrouve toujours fraîches et jeunes quand ma raison a fait un pas, c’est-à-dire une concession à la raison d’autrui : preuve que la raison n’est pas un mal. Mais je vois que vous êtes impatient de ma définition ; elle ne se fera pas attendre, la voici : Le bonheur est tout ce qu’on en dit dans les camps opposés des diverses écoles philosophiques. C’est une chose de ce monde et des autres mondes, de cette vie et des autres vies. Il est en nous et en dehors de nous ; il est dans le progrès de l’individu et dans celui des sociétés. Il est absolu et relatif. Nous le faisons et nous le trouvons tout fait ; en un mot, il est un état de la vie comme la douleur, aussi fugitif, aussi relatif, aussi réel, aussi certain, aussi varié. Nous sommes des ingrats de dire qu’il y tient moins de place, par la raison qu’il tend, comme la vie, à se répandre et à se perfectionner sur la terre, tandis que la douleur et la mort tendent chaque jour à diminuer et à disparaître.