Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/85

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ritualiste je nie et méprise la matière ? Pourquoi pensez-vous que je ne suis que la moitié d’un homme ? Je ne prétends pas être un homme complet. Il y en a peu, s’il y en a ; mais je tâche de ne pas me scinder et m’amoindrir. Les ascètes sont des fous. Vous voyez qu’en simplifiant ma vie autant que possible conformément à mes ressources, car j’ai trois cents francs de rente, monsieur, pas davantage, j’ai fait la part des douceurs de la vie. Il y a des choses dont je pourrais me passer, mais on ne doit se passer que de ce dont on est forcé de se passer ; et restreindre ses goûts et ses besoins par avarice, par mortification ou par mépris de ce qui est agréable et bon, c’est un tort, une ingratitude envers la vie. La vie est bonne, monsieur, même dans cette petite phase que nous traversons, et dont nous ne sentons ni le commencement ni la fin. C’est une fête à laquelle un hôte inconnu, mais libéral, nous convie. Elle se compose d’idéal et de réalité, de choses qu’on voit, qu’on touche, qu’on mange, qu’on respire et qu’on possède, et aussi de choses que l’on pressent, que l’on devine, que l’on espère et que l’on attend. Tout cela nous fait très-riches, et je ne suis pas si sot que d’en mépriser la moitié pour me prouver que cette moitié vaut moins que l’autre. Je veux me nourrir et m’enivrer de tout, et tous les grands esprits qui se contredisent et se querellent sur l’âme et le corps depuis que le monde est monde me servent des aliments variés, également sains et fortifiants. Je trouve qu’ils ont tous raison sur le terrain qu’ils occupent ; seulement, ils ont un tort commun, qui est de se combattre ; car, pour combattre, il faut se restreindre et se renfermer. La critique, qui est une