Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/93

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pourrez la voir portant du bois ou lavant elle-même les hardes de sa compagne. Tout le jour elle travaille, et la nuit elle veille quand l’autre ne dort pas ; ce qui arrive si souvent, que je ne sais pas comment celle qui doit mourir n’a pas encore tué celle qui doit vivre. C’était une rose éclatante quand elle a commencé ce dur labeur ; à présent, c’est une rose pâlie, et ses yeux, agrandis de moitié, sont plus beaux, j’en conviens, mais ils m’inquiètent. Enfin, que voulez-vous ! le sacrifice de soi est une chose rationnelle et bonne ; mais, quand il dépasse les forces de l’individu, on ne peut s’empêcher de blâmer l’arrangement social.

J’évitai la discussion sur le socialisme, qui est le grand dada de mon vieux ami ; je ne songeais qu’à mademoiselle Vallier.

— Croyez-vous, lui dis-je, que ce sacrifice de la personne soit si nécessaire ? Si cette aimable fille gagnait deux ou trois mille francs à Paris, elle aurait de quoi payer une femme exclusivement chargée ici de la malade. Ce serait encore très-beau d’y consacrer le tiers ou la moitié de son revenu.

— Oh ! oui-da, les soins mercenaires ?

— Ne croyez-vous pas que, chez les femmes du peuple, on trouve de ces dévouements payés qui deviennent, grâce à la bonté de certaines natures, des dévouements réels ?

— Certes, je le crois et je le sais ; mais il faut, pour s’y fier, avoir été à même de les éprouver. D’ailleurs, les malades sont des enfants gâtés, et la petite, qui adore sa maîtresse, mourrait peut-être le jour où elle la verrait partir.

— À quoi donc servent les prix Montyon, si mademoiselle Vallier succombe à la peine ?