Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/97

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que c’est notre droit, et que, si nous souffrons d’avoir à exercer, dans l’âge des illusions, un droit si rigide, c’est la faute du délire de nos devanciers.

Ce qui n’empêche pas l’incorrigible enthousiaste de me reprocher ma froideur et mon hésitation. Sa gaieté charmante rend, du reste, nos discussions très-cordiales. L’autre jour, il a décidé qu’étant le moins mûr de nous deux, il m’appellerait son papa, et que c’était à moi de l’appeler mon petit.

Tout cela anime ma solitude, et réellement, bien que je n’abuse pas du voisinage, je ne suis plus seul depuis que je sens à quatre pas de moi ce personnage si vivant, si étrange, si expansif quand il s’agit de ses opinions et de ses idées, si mystérieux, si hermétiquement fermé quant aux faits de sa vie passée. Voilà pourquoi je te disais, en commençant ma lettre, que la réalité était quelquefois plus romanesque que les romans. Nous voici trois ermites dispersés dans le rayon d’une lieue, Sylvestre, mademoiselle Vallier et moi, tous trois ruinés, car je vois bien que le vieux a vécu dans l’opulence, et il lui échappe des mots comme ceux-ci en racontant des anecdotes : ma voiture, mes gens, ma maison. Tous trois, nous embrassons l’état de pauvreté volontairement, car mademoiselle Vallier aurait pu, à ce qu’il paraît, sauver un meilleur débris de sa fortune, si elle eût été moins scrupuleuse, et, à l’heure qu’il est, elle aurait peut-être tiré un meilleur parti de son courage, de ses talents et de son activité sans un dévouement personnel à toute épreuve ; quant à M. Sylvestre, je crois voir qu’on ne s’est pas trompé en me disant qu’il pourrait être mieux et qu’il est maniaque de fierté. Belle manie ! et qui établit, que mademoiselle Vallier le veuille ou