Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/138

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de plus sûr à mes filles, et il n’en est pas une qui lui plaise assez pour qu’il veuille se donner la peine de lui plaire à son tour ? Il faudra que ce trésor nous échappe et aille faire la joie et l’orgueil d’une famille étrangère ! Allons, mon amour-propre paternel est piqué, tu vois, et mon âme un peu affligée ; mais je ne t’en aime pas moins, car l’amour ne se commande pas, et je vois bien que ton cœur ne t’a pas demandé la permission de s’échapper de la maison.

— Non, mon oncle, mon cœur ne s’est pas échappé d’ici et ne s’en échappera jamais. Je ne me livre pas au sentiment de l’amour ; je défends ma jeunesse de cette tentation, que vous seul devez m’interdire ou me permettre un jour. Je n’ai pas encore pensé au mariage. Si vous voulez que j’y songe plus tard, j’y songerai ; si vous faites dépendre en partie votre bonheur de l’affection que pourrait me témoigner une de vos filles, je tâcherai d’en inspirer à votre Benjamine, quand elle sera en âge de ressentir un sentiment plus vif que l’amitié fraternelle. De mes trois sœurs, c’est celle dont les goûts et le caractère seraient le plus conformes aux miens. Mais elle n’a que seize ans, et montre encore les douces aptitudes et les développements incomplets de l’enfance. Laissons-la grandir, et, dans trois ou quatre ans, je serai, j’espère être digne d’elle et capable de la rendre heureuse.

Cette réponse fut faite avec franchise et fermeté. Dutertre sourit avec affection.

— À la bonne heure ! dit-il. Ce projet, car ce n’est encore qu’un projet, me charme sans me rassurer beaucoup. N’importe, tu me laisses de l’espoir, et je t’en remercie. Ma Benjamine !… Oui, celle-là… elle est bien bonne, n’est-ce pas, Amédée ? Elle m’aime comme tu m’aimes… et elle chérit sa jeune mère comme nous la chérissons !