Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/176

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Thierray les trouva ce qu’elle étaient : le produit de l’intelligence froide ; mais il pouvait, sans mentir, en louer la forme, qui ne manquait ni d’ampleur ni de science. Dutertre, voyant ou croyant sa fille mieux disposée pour sa femme, ramena les choses à leur point de départ, dans le désir d’un commun enjouement. Thierray fit, en se jouant, des bluettes charmantes, luttant d’improvisation avec Nathalie, qui ne resta guère en arrière et qui s’émoustilla jusqu’à rire avec assez d’abandon. La gaieté des personnes habituellement sérieuses a parfois beaucoup de charme, et Nathalie eût pu être fort aimable si elle eût été aimante.

Thierray se retira à dix heures, prétextant beaucoup de lettres à écrire, mais ayant fait si bonne contenance toute la soirée, qu’Éveline crut avoir manqué son but et montra même un peu d’humeur à Nathalie.

Après le départ de Thierray, Olympe, pressentant que quelque chose d’inconnu s’agitait autour d’elle et ne voulant pas se placer entre Dutertre et ses filles, se retira de bonne heure, suivie de Benjamine. Amédée lut dans les yeux de Dutertre qu’il devait s’en aller aussi et l’attendre dans le pavillon. Dutertre resta seul avec ses deux aînées. Il les voyait mieux disposées, et il espérait un bon résultat de cette explication, devant laquelle il ne pouvait ni ne voulait reculer.

Le jour et le moment n’étaient pas du goût de Nathalie. Elle s’était laissée un peu désarmer par la douceur et les prévenances généreuses de sa belle-mère devant Thierray. Éveline, piquée contre elle, ne paraissait pas disposée à la soutenir. Enfin, Dutertre avait une attitude calme et digne, qui le gênait plus que tout le reste et qui commençait à faire entrer une sorte de crainte, sinon de repentir, dans son âme altière et jalouse.