Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/184

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soumettre à certaines désillusions, mon cher oncle ? La force et l’activité de votre cœur et de votre caractère vous ont fait croire qu’à force de travail, de dévouement, de soins et de bienfaits, vous pouviez faire le bonheur de tous ceux qui vous entourent…

— Je le reconnais, dit Dutertre ; c’était une chimère dont, au reste, je n’ai pas toujours été dupe autant que j’ai voulu le paraître pour conserver le courage dans mon âme et la foi dans celle des autres ; mais je le savais bien, et je sais plus que jamais aujourd’hui que, d’une part, le monde extérieur, loin de nous seconder, nous traverse ; que, de l’autre, les instincts de ceux pour qui nous travaillons nous résistent et combattent en eux-mêmes le bien que nous voulons leur faire. Dieu, dans sa mystérieuse sévérité, est au-dessus de tous nos efforts. Il nous donne des enfants, des frères, des amis dont il semble nous confier le bonheur et la vertu ; il nous en envoie d’autres qui semblent faits pour déjouer et méconnaître tous nos soins. Que sa volonté soit faite ! il faut l’accepter telle qu’elle est, croire qu’il ne crée rien d’inutile à l’ensemble des choses qui constituent l’harmonie générale, et que les travers mêmes de ceux que nous aimons ont leur raison d’être que nous reconnaîtrons plus tard. Cherchons donc le plan nouveau de conduite que je dois me tracer vis-à-vis de ma famille, et que cette nuit ne s’écoule pas, comme la dernière, sans amener une solution au moins provisoire. Dis-moi, avant tout, poursuivit Dutertre, si la mésintelligence qui règne ici est pire ou moindre en mon absence.

— Elle est pire en apparence, répondit Amédée ; elle est la même en réalité : votre présence contient les vivacités d’Éveline et modère ses caprices ; elle réduit au silence la voix amère de Nathalie, qui, chaque jour, verse