Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/196

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de ton château ; mais, comme elles ont cédé de mauvaise grâce, et avec quels cris rauques, avec quelles plaintes lamentables ! cela m’a rendu nerveux comme un chien de basse-cour, et j’ai eu de furieuses envies de hurler à la lune toute la nuit. J’ai pensé à madame Hélyette, et, quand je me dis que tu l’as peut-être vue, que c’est peut-être elle qui t’a fait me quitter si brusquement, je crains de n’être qu’un pleutre de romancier, bon à raconter les aventures des autres, et incapable d’en avoir une, indigne d’éprouver la plus petite hallucination ! Bref, je n’ai rien vu, j’ai bâillé, j’ai dormi, et, le lendemain, je me suis éveillé plus auteur que jamais, c’est-à-dire plus froid, plus bête, plus laborieux, plus patient qu’une araignée qui fait sa toile dans un coin où il ne passe jamais de mouches.

» À présent, me voilà ranimé et j’écris avec plaisir et chaleur. C’est qu’à nous autres, qui procédons toujours par la fiction, il faut, pour que notre cœur s’échauffe, que notre imagination s’allume. Une fois lancé dans le monde des rêves, nous acceptons la réalité. Nous nous en rendons maîtres, puisqu’il dépend de nous de l’embellir et de la transformer pour notre usage. Si ma blonde Éveline venait me faire une petite visite dans ce moment-ci, je serais homme à lui faire un bon accueil et à lui dire des choses fort tendres, pour peu qu’elle me permît de garder mes pantoufles et de m’étendre dans mon fauteuil.

» Pendant que je fais ce rêve, Éveline fait peut-être publier ses bans avec Amédée Dutertre. Mais que m’importe ? Ici, dans ma contemplation égoïste, elle m’appartient beaucoup plus qu’à lui. Je la pose à mon gré, je la pare à mon goût ; je la fais parler dans le diapason que je veux. En vérité, je l’aime beaucoup mieux depuis que