Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je ne la vois plus, et je ne désire même plus la voir, afin de garder ce frais et riant souvenir d’une passion de huit jours sans lendemain.

» Et toi, mon cher Flavien, vas-tu me dire enfin la raison de ton départ ? Songe que je t’aime parce que tu l’as voulu. Tu m’as baptisé ami sincère et même dévoué, le dernier soir que nous avons passé dans ce petit salon de la chanoinesse, d’où je t’écris, ma foi, fort à mon aise, les pieds chauds, la tête pleine et le cœur libre. Puisses-tu m’en dire autant de toi-même !

» Jules T. »

À cette lettre, Thierray reçut, peu de jours après, la réponse suivante :


« Mon cher ami, l’entorse est une des plus belles découvertes des temps modernes et une des plus belles prérogatives de notre sexe. Je m’en suis toujours servi avec succès. Mais ce n’est pourtant qu’un palliatif, et, Dieu merci ! tu n’as pas besoin d’un de ces remèdes énergiques qui coupent le mal dans sa racine. Moi, j’étais dans ce dernier cas ; il fallait, bien loin d’avoir une claudication qui me tînt à portée de me raviser, prendre mes jambes à mon cou et me sauver au plus vite.

» Je connais ta discrétion. Je vais tout te dire, et sans phrases, sans esprit, sans gaieté même, car on aurait beau rire de soi-même en certaines circonstances, on n’en souffrirait pas moins.

» Voilà trente ans que nous rions ensemble, parlant parfois sérieusement des choses, des hommes et des femmes en général, mais évitant de nous montrer l’un à l’autre tels que nous sommes. Pourquoi cette réserve ou cette affectation ? Je n’en sais rien. Je crois qu’il y a eu