Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/204

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les bois, je ne reparus que le soir au château ; Dutertre et toi vous vous étiez inquiétés de ma disparition.

» Je trouvai moyen d’être si respectueux avec madame Dutertre, qu’elle dut me pardonner. Mais, depuis ce soir-là, mon cher Thierray, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, jusqu’à celle inclusivement où j’ai quitté le Morvan.

» Tous les jours de la maudite semaine que j’y ai passée, j’ai résolu de rester à Mont-Revêche, tous les jours j’ai été emporté à Puy-Verdon comme par un diable incarné dans ma volonté ; j’ai demandé pardon à madame Dutertre sur tous les tons du repentir et du respect. Tous les jours, en demandant pardon, j’ai fait la nouvelle sottise de dire ou de laisser voir que j’étais amoureux fou. C’était si involontaire, qu’elle n’a pas pu m’en vouloir. Elle a continué à être étonnée, à avoir peur, à me regarder avec ses grands yeux de gazelle effarée et suppliante, à me demander pardon de ce qu’elle ne me comprenait pas du tout. Le fait est qu’on aurait juré souvent qu’elle ne m’entendait pas ou ne me devinait pas. Enfin, un soir que, bien malgré moi, je lui donnais le bras avec la rage de le lui donner, et même de casser la figure à quiconque voudrait me l’ôter (oui, tout cela malgré moi, je le répète), elle se mit à me parler de son mari avec tant d’admiration et même d’enthousiasme, que je rentrai en moi-même. Qu’avais-je à lui répondre ? Elle a mille fois raison d’estimer son mari, de respecter sa famille et d’aimer son devoir. Comme je n’ai jamais fait le projet de la séduire, et que j’ai été tout bonnement surpris par le désir aveugle et involontaire de la surprendre elle-même, je n’avais pas la moindre objection à lui faire, pas le moindre prétexte à me donner. D’autant plus que son mari mérite tout le bien qu’elle en pense et qu’elle en dit. C’est un des hommes les plus sympathiques que j’aie jamais rencontrés, et il