Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/287

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la campagne. Dutertre lui laissa sa carte, et quelques jours se passèrent encore ainsi, sans que Thierray fît mine de reparaître.

Thierray s’était promis de retourner à Paris. Mais sa situation lui paraissait si étrange, qu’il crut devoir rester au moins une semaine en expectative.

— Si Dutertre pense que j’ai compromis sa fille, se disait-il, il viendra m’en demander réparation ; s’il pense que c’est elle qui s’est compromise pour moi, il jugera peut-être devoir accepter celle que je lui ai offerte. Mon devoir est donc de laisser venir, et de me tenir sous la main de ce père irrité ou fantasque.

Et il continua le roman qu’il écrivait pour le public, jugeant que celui de sa vie réelle tournait à un pauvre dénoûment.

Thierray était mortellement triste, en dépit de sa résignation.

« On dit, écrivait-il à Flavien, que le témoignage d’une bonne conscience tient lieu de tout. Je t’assure que ma conscience est pure de tout crime, et même de toute faute, et pourtant ton manoir m’est devenu une prison, ton revenant un cauchemar, et ton perroquet une figure de croque-mort. J’avais rêvé ici pourtant, pendant vingt-quatre heures, une vie de prince à ma taille de poëte ; si j’avais épousé le million d’Éveline, mon ambition se fût bornée à avoir six mille livres de rente et à te louer Mont-Revêche à perpétuité, afin d’y travailler en paix avec une Éveline convertie, une capricieuse corrigée à mes côtés… et qui sait ? un ou deux marmots jouant à mes pieds sur le tapis brodé par la chanoinesse ! Oui, j’avais rêvé l’amour jusqu’à chérir en imagination les petits Thierray, noirs et malins, que je croyais déjà voir grouiller autour de moi. — Eh bien, me voilà seul, seul pour toujours