Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/303

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une heure, en parlant et en souriant, sans vouloir faire attention à cette souffrance. Mais l’effort qu’elle fit pour s’appuyer sur ce membre déjeté fut si atroce, qu’elle perdit connaissance une seconde fois.

Qu’on juge de l’effroi et de l’embarras des deux amis ! Ils n’osaient toucher à cette jeune fille. Ils ne savaient à quel accident attribuer son état. Avant tout, il fallait la faire revenir à elle. Ils y parvinrent ; elle leur dit alors qu’elle aimerait mieux mourir que de se laisser soigner par eux. Flavien voulait appeler Manette. Thierray s’y opposa ; Manette n’était ni curieuse ni vigilante, mais elle n’en était pas moins bavarde, et, malgré la meilleure volonté du monde, l’âge et l’habitude de raconter la rendaient incapable de garder un secret pendant vingt-quatre heures. Gervais était bien discret avec les gens du dehors ; mais, comme il n’avait pas de secret pour sa femme, cela revenait au même.

— Allez me chercher Forget, dit Éveline, pour qui un domestique n’était pas un homme.

Malgré l’âge mûr et la gravité de Forget, cette idée d’exposer Éveline à son blâme fut insupportable à Thierray.

— Éveline, dit-il avec autorité, il n’y a rien d’indécent à montrer son pied à un homme, quand ce pied est brisé et que cet homme est un médecin. Je ne le suis pas, mais je suis plus, je suis votre mari, je vous panserai moi-même.

Il se rappela que Manette soignait les malades d’alentour avec un certain vulnéraire dont la chanoinesse lui avait solennellement légué la recette, et qu’il y avait une ample provision de ce topique dans les inépuisables buffets de la défunte.

Thierray, avec le sérieux d’un médecin et la chasteté d’un père, en imbiba des linges et en enveloppa ce mal-