Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/33

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demoiselles dont l’aînée a bien une vingtaine d’années et la plus jeune seize ans, tout au moins.

Thierray devint pâle et ne put articuler un mot. Flavien devint rouge, tant il se contint pour ne pas éclater de rire. Mais, en voyant le trouble et la consternation de son ami, il eut la générosité de reprendre le chemin de ce qu’il plaisait à ses gens d’appeler le château, et de changer le sujet de la conversation.

— Eh bien, dit-il à Thierray, dès qu’ils se virent seuls, pourquoi cet abattement, ce morne désespoir ? Aurais-tu été dupe des trente-huit ou quarante ans de madame Dutertre, au point de tomber du ciel en terre ? Conviens, Jules, que tu t’es moqué de moi en venant ici, et que c’est pour une des demoiselles Dutertre, riche de quelque petit million, que tu as le positivisme de faire des stances amoureuses ?

— Impossible, mon ami, impossible ! s’écria Thierray, Olympe Dutertre peut cacher cinq ou six ans, comme toutes les femmes qui le veulent. Elle peut avoir trente ans, qui sait ? trente-deux ! sa fille aînée peut en avoir quatorze… mais vingt ! mais moi me tromper de quinze ou vingt ans à la figure d’une femme ! impossible : ta vieille servante radote, elle exagère tout !

— Ce n’était pas elle qui parlait, c’était Gervais !

— Il est en enfance !

— Dis-moi, Thierray, dit gravement Flavien, as-tu vu ton Olympe au jour, ou aux lumières ?

— Toujours le soir, aux lumières, je l’avoue, dit Thierray d’un air sombre.

Puis, partant d’un grand éclat de rire qui permit enfin à Flavien d’éclater aussi, il se livra pendant quelques minutes à une hilarité trop bruyante pour n’être pas un peu forcée.