Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/360

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qu’il n’hésita plus à s’exécuter, dût-il s’en repentir un jour. Oui, Éveline, qui m’aimait au point de venir m’arracher au découragement de votre mauvais accueil ; Éveline, dont la fortune m’effrayait et combattait en moi contre mon amour même ; Éveline, contre laquelle je m’enfermais, refusant de recevoir ses lettres et d’aller prendre ses ordres ; Éveline, qui est entrée chez moi, la nuit, par une fenêtre, au risque de sa vie et au prix d’une chute affreuse ; Éveline, qui serait peut-être en danger de mort si vous lui disiez que je vous ai fait cette révélation ; Éveline, enfin, dont je craignais la bizarrerie et les caprices, mais qui m’a vaincu par son audace, sa confiance, sa générosité, et qu’à l’heure qu’il est j’aime de toute la puissance de ma volonté.

— Dieu veuille que vous disiez vrai ! dit Dutertre profondément abattu.

— Doutez-vous de ma parole ? s’écria Thierray.

— Non, répondit Dutertre en lui serrant la main. Je doute de la spontanéité de votre inclination pour elle et n’en puis accuser que les défauts de son caractère. Votre résolution est généreuse, Thierray, s’il est vrai que vous n’ayez donné lieu par aucune séduction trop vive à cette extravagante et déplorable entreprise de sa part. Si vous ne l’aimiez pas, je crois que je serais condamné à subir le malheur et à payer la faute d’avoir trop aimé et trop gâté mes enfants. Oui, je serais condamné à refuser le sacrifice de votre liberté, et celui de votre fierté, que je sais excessive.

— Je n’attendais pas moins de vous, monsieur Dutertre, dit Thierray en l’embrassant avec admiration ; mais, que votre délicatesse se rassure, ma fierté saura se préserver. N’apportant rien à ma femme, je dois exiger que nous soyons mariés sous le régime de la séparation de biens.