Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/384

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d’un commun accord, filles et gendres, nous avons décidé en conseil de famille : au lieu de prendre chacun notre part, de nous disperser et d’aller parcimonieusement placer sur l’État notre capital à cinq pour cent, pour avoir chacun quelque huit ou dix mille livres de rente, nous avons tout mis en commun dans les mains du père de famille, et nous lui avons laissé, avec l’aide d’Amédée, la gestion du fonds commun. Ainsi cette belle terre de Puy-Verdon n’a pas été démantelée. On a vendu les autres immeubles, mais celui-là reste intact. Le château, plein du souvenir d’Olympe, était une chose sacrée, ainsi que le parc où sa tombe a été bénie sous les saules de la cascade. Cette vaste demeure est d’un entretien assez coûteux, malgré la réduction du personnel des serviteurs. Mais, en nous dispersant, chacun de nous aurait eu pour s’établir et pour se loger le double des frais que nécessite la conservation du nid commun. Crois bien, mon ami, que cette réduction de fortune, en nous forçant à l’économie et à la prudence, a été un grand bien pour ma femme, et pour moi par conséquent. Avec les chevaux anglais ont disparu les courses effrénées : on n’a plus de maux de nerfs. Les robes ne se comptent plus par douzaines ; on n’en déchire plus dans des accès de colère. On ne pourrait avoir de riche appartement à Paris, de loges au spectacle, d’équipages de luxe ; on ne peut plus aller déployer ses grâces d’écuyère au bois de Boulogne, ni ses diamants à l’Opéra. Tout ce que je redoutais, tout ce qui me donnait froid dans le dos le jour où, fort amoureux, mais fort inquiet, je contractai ce mariage, s’est évanoui comme un mauvais rêve. J’ai à présent la joie et le petit orgueil de travailler pour ajouter à l’aisance que ma femme m’a donnée un peu de luxe modeste qu’elle n’aurait pas sans moi. Va, tout est bien ainsi, et je suis fier