Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/55

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se coucher. Les trois jolies pièces qui composaient cet appartement étaient reliées par un bout de galerie qu’on avait fermé à chaque extrémité pour en faire un salon commun, une sorte d’atelier où ces demoiselles avaient leurs études d’artiste et leurs ouvrages de femme. Pianos, livres, chevalets, corbeilles, tout cela était rangé trois fois par jour au moins par l’infatigable Grondette, aidée de la patiente Benjamine. Mais, au moment où nous y pénétrons et où Grondette vient de se retirer dans une chambre située en face de la galerie, le désordre a déjà repris son empire sur l’élégant gynécée où la lionne turbulente et la raisonneuse distraite ont établi le quartier général de leur veillée.

Ce n’est pas qu’Éveline fût dans son heure et dans son costume de pétulance. Dès qu’elle quittait ses petites bottes de maroquin et son chapeau de feutre, elle devenait princesse, nous l’avons dit, et il n’y avait pas assez de batiste, de parfums, de dentelle et de satin, pour reposer ce corps, frêle en apparence, de la rudesse d’habitudes où l’emportait le jeune démon de sa fantaisie. Mais, dérangeuse par nature, comme l’appelait Grondette, que ce fût par indolence ou par activité, par besoin de partir plus vite ou de se reposer plus tôt, il fallait que tous les objets qui se rencontraient sous son pied ou sous sa main cédassent brusquement ou dédaigneusement la place à sa personne agile et souple, soit pour la laisser passer, soit pour la laisser s’étendre. Quelque précieux et choyé que fût ce corps de reine, tous les objets à son usage avaient un air de malpropreté ou de dégradation. La riche moire des fauteuils où l’on étendait des pieds crottés au retour de la chasse, les divans de velours où on laissait monter les chiens favoris, les rideaux de mousseline de l’Inde que l’on tirait d’une