voyons pas du monde ici ? est-ce que le monde n’est pas partout pour les riches ? Dans trois jours, l’arrivée de mon père sera l’événement du pays, et nous ne saurons à qui entendre ; tu auras une cour de gens sérieux, moi un cortège d’écervelés…
— Oui, oui, une lanterne magique qui durera deux mois, et, quand mon père retournera à ses travaux parlementaires, la solitude, l’hiver, le silence ! Puis le printemps sans amour et sans espoir, l’été morne et accablant, avec des moissonneurs pour coup d’œil et des mouches pour société.
— Il est vrai que l’année de dix mois est un peu longue, mais on peut tuer le temps, et, quant à l’amour dont tu commences à être pressée d’éprouver les douceurs, moi, je te déclare que je n’y pense pas encore.
— Tu mens, te dis-je ! Tu y penses moins souvent et moins sérieusement que moi, c’est possible, mais tu commences à te dire que l’amour n’est pas ici et ne viendra pas nous y chercher.
— Pourquoi non ? Nous n’avons pas manqué de poursuivants jusqu’à cette heure.
— Des poursuivants de passage, et dont pas un ne nous convenait !
— Nous les avons tous assez peu encouragés. Nous sommes difficiles, conviens-en.
— Et nous avons sujet de l’être ; nous ne sommes pas seulement difficiles à contenter : nous sommes difficiles à marier.
— Au contraire, nous sommes riches et on nous permet d’épouser des hommes sans fortune, à la condition qu’ils seront honnêtes, bien élevés, laborieux… Quoi encore ? Papa a là-dessus de belles théories assez romanesques…
— Et, par conséquent, irréalisables. Les jeunes gens