Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/81

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le préau commun et inaccessible aux regards du dehors ; à l’extérieur, presque rien que des murailles froides plongeant sur un fossé circulaire, et n’ayant d’ouvertures que celles qui permettent de voir sans être vu. J’appelle cela une perle, une perle noire, si tu veux, ce sont les plus belles. Cette couleur de vieillesse, que, Dieu merci ! ta tante a laissée moisir autour d’elle, cette liberté de végétation qui s’est déjà faite depuis six mois que la mort est entrée ici, ces vieux sureaux qui sortent des crevasses, ces grilles rouillées, ces girouettes qui ne tournent plus, ces pavés régulièrement cerclés d’herbe vive qui forment comme un tapis grisâtre à fins carreaux verts, cette longue tourelle à pans coupés avec son petit beffroi, ces violiers jaunes sur les corniches, ces roses trémières qui montent vers les fenêtres closes, comme pour appeler en vain un regard sur leur beauté ; tout cela, te dis-je, me plaît et me transporte, et, si j’avais cent mille francs, je ne te laisserais pas le vendre à Dutertre, qui a des terres et des châteaux plus qu’il ne lui en faut. Ah ! la vie de l’artiste ! qu’elle est triste, et fermée à toutes les jouissances dont lui seul pourtant sait le prix ! Avec ce castel et la petite zone de bois et de prairies qui l’environnent, je serais le plus riche des hommes, je redeviendrais paisible, heureux, naïf et bon ! je n’aurais plus de faux besoins, de faux plaisirs… Il y a ici un paradis fait à ma taille, et il est à quelqu’un qui s’en défait, parce qu’il n’en a que faire, en faveur de quelqu’un qui l’achète, quoiqu’il n’en ait pas besoin !

— Mon cher Thierray, dit vivement Flavien, dont l’âme généreuse s’ouvrit largement tout d’un coup à l’idée de rendre heureux un de ses semblables, je veux…

À la manière dont il avait serré le bras de Thierray, ce dernier comprit ce qui se passait en lui et ce qu’il allait dire.