Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/114

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querellant, boudant, taquinant les servantes et prenant ensuite trop de familiarités avec elles puisqu’elle voulait rester maîtresse et demoiselle. Quand elle fut séparée de son frère, qui la reprenait et la calmait de son mieux, elle devint pire, et, ne se sentant aimée de personne, elle détesta tout le monde. Comme elle avait de l’esprit, elle disait des méchancetés au-dessus de son âge. On en riait ; on eût mieux fait de s’en fâcher, car elle mit sa vanité à être mauvaise langue et insulteuse.

Chez la méchante vieille de Tulle, elle expia tous ses défauts, mais si durement qu’ils ne firent qu’augmenter, et, quand elle fut avec nous, ce fut comme une petite guêpe en furie dans une ruche d’abeilles. Il me fallut, dès le premier jour, la prier beaucoup pour l’engager à se laver et à prendre du linge blanc. Mais, quand je lui présentai des habits neufs que j’avais pu me procurer dans la paroisse de la même manière que je m’étais procuré ceux que portait Émilien, elle entra en rage, disant qu’étant demoiselle et fille de marquise, elle ne porterait jamais des habits de paysanne. Elle aimait mieux ses guenilles malpropres qui avaient un reste de façon bourgeoise, et son frère dut les faire brûler pour qu’elle se soumît. Alors elle bouda encore, bien que propre et jolie avec sa jupe rayée et sa petite cornette. Le repas la consola, il y avait si longtemps qu’elle était privée de bonne nourriture ! le soir, elle consentit à jouer avec moi, mais à la condition que je ferais la servante et qu’elle me donnerait des soufflets. La nuit, elle dormit près de moi dans une gentille cellule où je lui avais dressé une couchette bien douce et bien blanche à côté de la