Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/160

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force ; je n’ai pas l’âge de l’amour et je suis un cœur honnête. Ne m’insultez pas, je suis assez en peine, je fais ce que je ferais pour sa sœur, pour M. le prieur, pour vous, si vous étiez dans le danger… et vous y serez peut-être comme les autres ! Les sans- culottes ne vous trouveront peut-être pas assez méchant — ou bien les aristocrates reviendront les plus forts et je serai peut-être là, autour de votre prison, cherchant à vous faire sauver. Est-ce que vous croyez que je me tiendrais tranquille si vous tombiez dans le malheur ?

Il me regarda avec beaucoup d’étonnement et dit entre ses dents un mot que je ne compris pas tout de suite, mais que je commentai plus tard, _nature d’héroïne ! _ — Il me prit la main et la regarda, puis la retourna pour voir le dedans, comme font les diseurs de bonne aventure.

— Tu vivras ! dit-il, tu accompliras ton œuvre dans la vie : je ne sais laquelle, mais ce que tu auras voulu, tu le verras réalisé. Moi, j’ai moins de chance. Vois cette ligne ; j’ai trente-cinq ans, je n’atteindrai pas la cinquantaine ; vivrai-je assez pour voir le triomphe définitif de la République ? Je n’en demande pas davantage.

— Voilà que vous croyez à la sorcellerie, monsieur Costejoux, vous qui ne croyez pas en Dieu ? Eh bien, dites-moi si Émilien vivra. C’est peut-être écrit dans ma main.

— Je vois que tu feras une grande maladie… ou que tu auras un grand chagrin ; — c’est peut-être…

— Non ! vous n’y connaissez rien ! vous avez dit que je réussirai dans ma volonté, et ma volonté est qu’il ne meure pas. Allons ! à présent il faut m’aider.