Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/183

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jeunes nobles, les frères Chéry de Bigut, étaient les plus compromis. Ils avaient été dénoncés comme s’étant opposés au départ des recrues. On voulait les envoyer à Paris pour y être jugés. Le citoyen Lejeune entra dans une grande colère.

— Vous ne savez donc pas la nouvelle loi ? dit-il ; les accusés doivent être jugés et exécutés dans le pays où ils ont commis _leurs crimes._

Et il ordonna le procès, qui ne fut ni long, ni compliqué. En peu de jours, ces deux malheureux, bien qu’ils n’eussent excité aucune sédition, furent condamnés sur la déposition de deux témoins, et exécutés à l’endroit nommé Sainte-Catherine, presque sous nos yeux, près la porte aux Guédons. Durant cette odieuse affaire, je ne pouvais plus ni manger ni dormir. J’avais espéré que, faute de gendarmes et de bourreau, car il n’y en avait plus dans la ville, on retarderait l’exécution. Mais on envoya un cavalier de _bonne volonté _à Issoudun pour requérir le _prévôt, _et la guillotine fut dressée à deux pas de notre maison. Je me sauvai dans mon grenier, d’où l’on ne voyait pas dans la rue ; mais, tout aussitôt, je vis arriver sur la plate-forme des deux tours une quantité de prisonniers. C’était ceux de la porte aux Guédons et tous ceux des autres prisons de la ville, qu’on amenait là pour assister à l’exécution. Il y en avait bien plus que je ne l’avais imaginé. C’était presque tous des religieux et des religieuses, les hommes sur une tour, les femmes sur l’autre. Comme ils étaient accompagnés de gardiens, je ne me montrai pas ; mais, de derrière le volet de ma lucarne, je cherchais Émilien. Il vint résolument se planter à la brèche, croisa ses bras et regarda