Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/191

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que l’ordinaire de la prison. Le vieux prêtre n’y voulut pas toucher, malgré mes instances ; il était si affaibli, que j’aurais voulu lui servir un peu de vin.

— Je n’ai pas besoin de me donner des forces, dit-il ; ce que vous venez de raconter m’en donne de reste pour mourir avec joie.

Peu de temps après la fête burlesque vint la tragédie atroce. Ce pauvre homme marcha à la mort avec une admirable tranquillité. Son échafaud fut dressé sur la promenade. Cette fois, je voulus vaincre mon épouvante et voir l’affreuse guillotine. Je me faisais, d’ailleurs, un devoir de suivre ce malheureux et de rencontrer son regard si je pouvais, pour qu’il lût dans le mien un grand élan de respect et d’amitié. Mais il eût craint de compromettre ceux qui le plaignaient, car il y en avait bien d’autres que moi, il ne regarda personne. Des prisonniers espagnols assistaient à son exécution. Je les vis sortir des fleurs de dessous leurs habits blancs et les lui jeter. Alors, je fermai les yeux. J’entendis tomber le couperet, je restai comme paralysée, comme décapitée moi-même un instant. Je me disais :

— J’entendrai peut-être demain tomber cela sur la tête d’Émilien !

Dumont me tira par le bras et m’emmena. Je ne me sentais pas marcher. Je ne savais pas où j’étais.

Quand je pus entrer chez Émilien, je le trouvai seul, accablé de douleur. Il avait pris pour ce prêtre un grand attachement. Je le soulageai et je me sentis soulagée moi-même en pleurant avec lui, et, comme j’avais besoin d’exhaler mon indignation, ce fut lui qui m’apaisa.