donner à l’église ; on aimait mieux être abbé et recevoir de l’État.
Aussi le moutier de Valcreux n’avait plus que six religieux au lieu de douze, et, quand, plus tard, la communauté fut dissoute, il n’en restait plus que trois.
Je reviens, je ne veux pas dire à mes moutons, puisque je n’en avais qu’un, mais à ma chère Rosette. L’été était venu et l’herbe se faisait si rare, même au revers des fossés, que je ne savais plus quoi inventer pour la nourrir. J’étais obligée d’aller loin dans la montagne, et je craignais les loups. J’étais désolée, la pluie n’arrivait point et Rosette se faisait maigre. Le père Jean, voyant le chagrin que j’en avais, ne me faisait pas de reproches, mais il était mécontent d’avoir mis son argent, ses trois livres tournois, à un achat qui coûtait tant de peine et annonçait si peu de profit.
Un jour que je passais le long d’un petit pré qui appartenait au moutier et qui était resté vert et touffu à cause de la rivière qui le traversait, Rosette s’arrêta devant la barrière et se mit à bêler si piteusement, que j’en fus comme affolée de chagrin et de pitié. La barrière était non fermée, mais poussée au ras du poteau, et même elle ne joignait point, car Rosette y fourra sa tête, et puis son corps et fit si bien qu’elle passa.
Je fus d’abord toute saisie en la voyant dans un enclos où je ne pouvais pas la suivre, moi qui avais du raisonnement, moi qui, étant une personne, savais qu’elle n’avait pas le droit de faire ce qu’elle faisait, la pauvre innocente ! Je commençais à sentir ma bonne conscience et à être fière de n’avoir jamais fait de pil-