Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/216

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de notre nourriture. Dumont circulait sans danger. Il allait de temps en temps, avec l’âne, chercher très loin, tantôt dans une ferme, tantôt dans une autre, le sel, la farine d’orge ou de sarrasin, l’huile et même quelques fruits et légumes. Il fallait payer très cher, car il régnait une sorte de famine, et, quand il voulait donner des paniers en échange, on lui disait : « Pourquoi des paniers quand on n’a rien à mettre dedans ? » L’argent ne nous manquait pas, mais il fallait paraître aussi pauvres que les autres et marchander avec une obstination dont Émilien et moi n’eussions peut-être pas été capables. Dumont jouait si bien son rôle, qu’on le jugeait un des plus malheureux du pays, et qu’en quelques endroits on avait la charité de lui offrir un verre de vin, chose rare et précieuse dans une région qui n’en produit pas ; mais Dumont avait juré de ne plus boire, même une goutte de vin. Il avait eu tant de chagrin d’avoir failli faire manquer l’évasion de son cher Émilien, qu’il s’infligeait cette pénitence et se mortifiait comme un véritable ermite.

Il vint un temps de disette de grain, où on trouvait plutôt de la viande à acheter que de la farine. Nous n’en avions nul besoin. Le gibier abondait autour de nous, et nous inventions toutes sortes de pièges, lacets, trappes et colliers. Il se passait peu de jours sans que nous prissions un lièvre, une perdrix, un lapin ou de petits oiseaux. Il y avait force goujons et ablettes dans le ruisseau, et j’eus bien vite fabriqué des nasses. Un petit marécage nous fournissait à discrétion des grenouilles que nous ne dédaignions pas. Nous eûmes aussi affaire à plusieurs renards qui furent difficiles à saisir ; mais nous fûmes plus fins qu’eux, et no