Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/252

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n’était plus menacée. Il ne restait dans les bois que par prudence ; l’installation était faite ; Dumont pouvait aller et venir. Leur bourse était encore bien garnie, ils ne pouvaient manquer de rien, sitôt que je leur aurais porté quelques effets.

Et le prieur était seul, malade et désespéré, avec une femme écrasée d’ouvrage qui pouvait tomber malade aussi, mourir ou se lasser de sa tâche. Je voyais bien que, tout en lui rendant justice, il la rudoyait malgré lui et qu’elle en prenait du dépit. Certainement je lui étais plus nécessaire qu’à Émilien, et, en choisissant de servir celui que je préférais, je contentais mon cœur plutôt que ma conscience.

Dès le matin, je m’en allai prier dans la chapelle du couvent. On n’y entrait plus. Bien que Robespierre eût aboli le culte de la Raison et permis le libre exercice des autres cultes, les églises restaient fermées. Personne n’osait se dire catholique. On avait emporté les cloches ; sans cloches, le paysan n’est plus d’aucune église. Le prieur ne pouvait plus dire ses offices que dans sa chambre à cause de sa mauvaise santé.

J’eus de la peine à ouvrir la porte rouillée et déjetée. On avait mis des fagots dans le chœur pour masquer l’autel et le préserver de profanations que, du reste, personne de chez nous n’avait songé à commettre. La voûte dégradée était toute noircie par l’humidité. La grêle avait cassé les carreaux. Les pigeons étaient entrés et s’étaient réfugiés là contre les enfants du village que la faim poussait à les poursuivre à coups de pierres. Ils y avaient fait leurs nids, ils y roucoulaient imprudemment et joyeusement ; mais, en me voyant, ils eurent peur, ils ne me connaissaient plus.