que la belle saison est venue et qu’ils n’ont plus tant à se cacher ? Que peuvent-ils craindre ? Le frère Pamphile n’est plus ; que Dieu me pardonne d’avoir appris sa mort avec joie ! Les hommes sont fous, lui seul était méchant ! Il ne vous eût pas pardonné de m’avoir tiré du cachot. Le voilà où il a plu à Dieu de l’envoyer, vous ne risquez plus rien, et, moi, je risque de mourir ici sans amis, sans secours, sans personne à qui je puisse dire : « Adieu, je m’en vais ! » C’est bien malheureux pour moi !
— Avez-vous donc à vous plaindre de la Mariotte ?
— Non certes, mais je ne peux pas causer avec cette brave femme. Elle est trop dévote pour moi. À mes derniers moments, elle est capable de ne me dire que des bêtises. Réfléchis, Nanon, toi qui es toute à la pensée du devoir, et vois qui a le plus besoin de tes secours, d’Émilien ou de moi.
Je fus fortement ébranlée, et, bien que je fusse fatiguée du voyage, je ne dormis guère. Mon cœur se brisait à l’idée de quitter Émilien. Je ne m’imaginais plus comment je pourrais vivre sans avoir à m’occuper de lui à toute heure.
Une fois il m’avait appelée sa mère, et il est bien vrai que je le_ _considérais comme mon enfant, en même temps que comme le maître de ma vie et la lumière de mon âme. Jamais je n’avais été si heureuse que dans cette solitude où je ne le perdais presque pas de vue, où je n’avais de devoirs qu’envers lui, et, quand Costejoux avait écrit : « Restez encore là-bas quelques semaines, » j’avais eu un grand mouvement de joie en me disant : « J’ai encore quelques semaines à être heureuse. »
Mais le prieur avait dit la vérité. La vie d’Émilien