Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/256

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avons plusieurs objets à emballer, et il faudra que nous causions encore ensemble ; mais il faut être plus rassis que nous ne le sommes.

Aussitôt arrivée à notre maison de cailloux, je rentrai l’âne, je rallumai le feu, je préparai le repas du soir, je m’occupai comme si de rien n’était. J’avais la tranquillité du désespoir dont on ne cherche pas la fin. Je me forçai pour manger. Dumont essayait de me distraire en me parlant des chèvres et des poules qu’il avait déjà vendues pour ne pas les laisser mourir de faim, et d’une petite charrette qu’il fallait peut-être louer pour transporter tous nos effets, augmentés de ceux que je venais d’apporter. J’examinai ce que nous devions prendre et laisser, Dumont reconnut que l’âne porterait bien le tout, et qu’ayant payé notre loyer d’avance, nous pouvions mettre la barre et le cadenas sur les portes et nous en aller le lendemain, sans rien dire à personne, comme nous étions venus.

Après souper, ne me sentant pas capable de dormir, je m’en allai au bord du ruisseau. À force d’y marcher, nous y avions tracé un sentier qui serpentait dans les roches parmi ces jolies campanules à feuilles de lierre, ces parnassies, ces menyanthes, ces droseras et tout ce monde de menues fleurettes qu’Émilien m’avait appris à connaître et que nous aimions tant. Le ruisseau se perdait souvent sous les blocs et on l’entendait jaser sous les pieds sans le voir ; un taillis de chêne ombrageait cette lisière de notre île, dont l’escarpement se relevait brusquement et formait là une ravine bien cachée : c’était là qu’Émilien, forcé de ne pas s’éloigner, aimait à marcher avec moi quand notre journée de travail était finie. En furetant, nous avions découvert