Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/55

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et sauvez-vous, les brigands ne font merci à personne.

La Mariotte cria, pleura et se mit à chercher une cache pour ses effets ; quant à moi, si je croyais encore aux brigands, je ne les craignais plus, j’avais la tête montée ; je me disais que, si mon oncle et mes cousins étaient tués, je n’avais que faire de vivre, et, laissant la Mariotte à ses préoccupations, je pris Rosette et la menai aux champs. Fallait-il la laisser mourir de faim pour la sauver du pillage ?

L’envie de savoir me mena très loin sur le grand plateau semé de bois, mais je ne pus rien voir, parce que les paysans, réunis en troupes, guettaient ou se glissaient avec précaution dans les genêts et les ravines. Tout en regardant au loin à travers les arbres, je me trouvai empêchée tout d’un coup par quelqu’un qui se levait du milieu des buissons : c’était le petit frère qui chassait tranquillement et guettait les renards, sans souci de la guerre aux brigands.

— J’aurais cru, lui dis-je, que vous iriez avec les autres, voir au moins s’il y a du danger pour eux.

— Je sais, répondit-il, qu’il n’y en a pour personne autre que les nobles et le haut clergé, tous gens qui ne me veulent point avec eux ; je suis donc en ce monde pour moi tout seul.

— Vous me fâchez de parler comme ça ! je ne sais pas si je dois vous mépriser ou vous plaindre.

— Ni l’un ni l’autre, ma petite amie. Qu’on me donne un devoir et je le remplirai ; mais je ne vois pas le devoir d’un moine, à moins que ce n’en soit un d’engraisser. Les moines, vois-tu, ça a pu servir dans les temps anciens ; mais, du jour où ils ont été riches