Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/56

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et tranquilles, ils n’ont plus compté pour rien devant Dieu et devant les hommes.

— Alors, ne soyez pas moine ?

— C’est facile à dire ; qui me recevra, qui me nourrira, puisque ma famille doit me chasser et me renier si je lui résiste ?

— Dame ! vous travaillerez ! c’est dur, mais Pierre et Jacques vont en journée, et ils sont plus heureux que vous.

— Ce n’est pas sûr. Ils ne pensent à_ _rien, et moi, j’ai du plaisir à raisonner tout seul. Je sais que j’ai beaucoup à apprendre pour bien raisonner, j’apprendrai. Tu m’as dit mon fait, c’est lâche d’être paresseux. Tiens, vois ! à présent, je me promène avec un livre et j’y regarde souvent.

— Et m’apprendre, à moi ? vous n’y songez plus !

— Si fait. Veux-tu commencer tout de suite ?

— Commençons.

Il me donna ma première leçon, assis sur la fougère auprès de moi, sous ce grand ciel qui m’éblouissait un peu, car j’étais plus habituée au petit ruban qu’on en voyait du ravin de Valcreux. Je fis tant d’attention, que j’en eus mal à la tête, mais je n’en dis rien par amour-propre ; j’étais fière de sentir que je pouvais apprendre, car le petit frère s’étonnait de me voir aller si bien. Il disait que j’apprenais dans une heure plus que lui dans une semaine.

— C’est peut-être, lui dis-je, que vous avez été mal enseigné ?

— C’est peut-être, répondit-il, qu’on tâchait de m’empêcher d’apprendre.

Il fit un tour de chasse, tua un lièvre et me l’apporta.