Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/146

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il y a toujours quelque chose qu’on ne dit ni aux autres ni à soi-même, et qui rend la pitié plus tendre et la charité plus agréable. Tenez, nous avons acheté le bout de jardin, c’est-à-dire muré la porte aux rendez-vous ; mais nous n’en perdons pas moins la partie ! Albany ne s’est pas si mal conduit que je l’aurais cru. Il a bien réellement payé et quitté sa mauvaise maîtresse. Mademoiselle d’Estorade a un grand poids de moins sur le cœur. Elle se dit qu’elle peut encore le sauver, ou le plaindre en secret. Qui sait si, dans son humilité chrétienne vis-à-vis de cette Julia, il n’entre pas un peu du désir d’entendre parler, soit en bien, soit en mal, de celui qu’elles aiment toutes deux, chacune à sa manière ?

En parlant ainsi, Narcisse Pardoux regardait la voiture de mademoiselle d’Estorade, qui montait lentement la côte au-dessus de nous. C’était une longue carriole noire, percée d’étroites ouvertures, une sorte de voiture cellulaire, traînée de deux forts chevaux de labour, et menée par un paysan blond et bénin, de ces charretiers doucereux qui ne jurent ni ne boivent, natures sans malice et sans nerf, qui sont mauvais ouvriers chez les maîtres exigeants, excellents sujets chez les personnes douces et patientes.

— Elle s’en retourne dans son tombeau, me dit Narcisse en détournant la tête. Quelle triste vie elle a choisie ! Après tout, ajouta-t-il en levant les épaules, c’est de son goût ! Ça ne me regarde pas !