Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/177

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Je lui demandai s’il la trouvait toujours laide et bossue.

— Bah, bah ! me dit-il, je sais bien qu’elle n’est ni l’un ni l’autre. C’était bon autrefois de dire ça quand on avait du dépit. Et puis, comme tout le monde le disait par envie et par méchanceté, j’étais assez sot pour craindre de dire et de penser autrement que les autres. Je craignais aussi, il faut le dire, les mauvaises plaisanteries, non tant à cause de moi qu’à cause d’elle ; et j’aimais mieux dire tout de suite : « C’est une fille disgraciée, mais très-bonne, » que de faire venir des discussions et du dénigrement à propos de sa personne. À présent, j’aurais plus de courage. Je dirais… ce que je peux bien vous dire : c’est un ange que je ne vois pas marcher sur la terre. Peu m’importe comment elle est, un peu mieux, un peu plus mal que celle-ci ou celle-là. Je m’en soucie peu, puisque je n’en sais rien. Elle me paraît la plus belle du monde parce qu’elle est la meilleure du monde, et que, quand je la vois, je suis le plus content et le plus heureux du monde. Je l’aime autant et peut-être plus que mes sœurs. Voilà tout ce que j’en peux dire, et c’est assez. Quant à de l’amour, je n’oserais pas y penser ; il lui serait tout à fait impossible de me le rendre, et je ne veux pas devenir sot et malheureux en me fourrant des idées comme ça dans la tête.

Je passai la journée à déballer et installer une partie de mon attirail dans une maison assez commode que Nar-