Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/77

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était héroïque ; car sa pudeur révoltée lui prit aussitôt à la gorge et au cœur, et elle retomba étouffée et comme pâmée sur sa chaise.

— Pauvre Juliette ! s’écria involontairement Narcisse.

Et il étendit la main, mais sans oser prendre la sienne, et il me dit avec angoisse :

— C’était pour son bien, mais nous lui avons fait de la peine et du mal !

J’étais ému et inquiet moi-même ; mais les pleurs vinrent au secours de mademoiselle d’Estorade, et nous les laissâmes couler quelques instants sans rien dire. Après quoi, nous lui jurâmes tous deux d’ensevelir ce secret au plus profond de nos consciences.

— Oui, oui, je le sais, répondit-elle en regardant Narcisse ; ce n’est pas vous qui me perdrez ! car je peux être perdue, moi qui n’ai pourtant rien à me reprocher. Je connais l’aversion des bourgeoises de ce pays pour la béguine, comme elles m’appellent aujourd’hui, pour la bossue, comme elles m’appelaient autrefois, quand je paraissais au milieu d’elles et que je n’avais pas encore renoncé ouvertement au mariage. Et les ennemis de la religion ! Comme ils triompheraient, s’ils pouvaient raconter une pareille aventure ! Quels sarcasmes, quels mépris, quels commentaires ! Ah ! vous le voyez ! ajouta-t-elle en se tournant vers moi, je suis lâche, je crains l’opinion ! Mais ce n’est pas par orgueil, sachez-le bien. Je ne sens