Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/161

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telligence de Pauline, et il décida avec lui-même, dès cet instant, qu’elle ne lui servirait jamais que de jouet, de moyen, de victime, s’il le fallait.

Qui eût pu supposer dans un homme froid et nonchalant en apparence une résolution si sèche et si cruelle ? Personne, à coup sûr. Laurence, malgré tout son jugement, ne pouvait le soupçonner, et Pauline, moins que personne, devait en concevoir l’idée.

Lorsque Laurence se rapprocha d’elle, se souvenant avec sollicitude qu’elle l’avait laissée auprès de Montgenays troublée jusqu’à la fièvre, confuse jusqu’à l’angoisse, elle fut fort surprise de la retrouver brillante, enjouée, animée d’une beauté inconnue, et presque aussi à l’aise que si elle eût passé sa vie dans le monde.

— Regarde donc ton amie de province, lui dit à l’oreille un vieux comédien de ses amis ; n’est-ce pas merveille de voir comme en un instant l’esprit vient aux filles ?

Laurence fit peu d’attention à cette plaisanterie. Elle ne remarqua pas non plus, le lendemain, que Montgenays était venu lui rendre visite une heure trop tôt, car il savait fort bien que Laurence sortait de la répétition à quatre heures ; et, depuis trois jusqu’à quatre heures, il l’avait attendue au salon, non pas seul, mais penché sur le métier de Pauline.

Au grand jour, Pauline l’avait trouvé fort vieux. Quoiqu’il n’eût que trente ans, son visage portait la flétrissure de quelques excès ; Ton sait que la beauté est inséparable, dans les idées de province, de la fraîcheur et de la santé. Pauline ne comprenait pas encore, et ceci faisait son éloge, que les traces de la débauche pussent imprimer au front une apparence de poésie et de grandeur. Combien d’hommes, dans notre époque de romantisme, ont été réputés penseurs et poètes, rien que