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II

» Sur ces entrefaites arriva de province un homme sans talent, sans esprit, sans aucune qualité énergique ou séduisante, mais doué d’une grande candeur et d’une droiture de sentiments bien rare dans le monde où je vivais. Je commençais à me dire qu’il fallait faire enfin un choix, comme disaient mes compagnes. Je ne pouvais me marier, étant mère, et, n’ayant confiance à la bonté d’aucun homme, je ne croyais pas avoir ce droit. C’était donc un amant qu’il me fallait accepter pour être au niveau de la compagnie où j’étais jetée. Je me déterminai en faveur de ce provincial, dont le nom et l’état dans le monde me couvraient d’une assez belle protection. C’était le vicomte de Larrieux.

» Il m’aimait, lui, et dans la sincérité de son âme ! Mais, son âme ! en avait-il une ? C’était un de ces hommes froids et positifs qui n’ont pas même pour eux l’élégance du vice et l’esprit du mensonge. Il m’aimait à son ordinaire, comme mon mari m’avait quelquefois aimée. Il n’était frappé que de ma beauté, et ne se mettait pas en peine de découvrir mon cœur. Chez lui, ce n’était pas dédain, c’était ineptie. S’il eût trouvé en moi la puissance d’aimer, il n’eût pas su comment y répondre.

» Je ne crois pas qu’il ait existé un homme plus matériel que ce pauvre Larrieux. Il mangeait avec volupté, il s’endormait sur tous les fauteuils, et, le reste du temps, il prenait du tabac. Il était ainsi toujours occupé à satisfaire quelque appétit physique. Je ne pense pas qu’il eût une idée par jour.

» Avant de l’élever jusqu’à mon intimité, j’avais de