Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amitié pour lui, parce que, si je ne trouvais en lui rien de grand, du moins je n’y trouvais rien de méchant ; et en cela seul consistait sa supériorité sur tout ce qui m’entourait. Je me flattai donc, en écoutant ses galanteries, qu’il me réconcilierait avec la nature humaine, et je me confiai à sa loyauté. Mais à peine lui eus-je donné sur moi ces droits que les femmes faibles ne reprennent jamais, qu’il me persécuta d’un genre d’obsession insupportable, et réduisit tout son système d’affection au seul témoignage qu’il fût capable d’apprécier.

» Vous voyez, mon ami, que j’étais tombée de Charybde en Scylla. Cet homme, qu’à son large appétit et à ses habitudes de sieste, j’avais cru d’un sang si calme, n’avait même pas en lui le sentiment de cette forte amitié que j’espérais rencontrer. Il disait en riant qu’il lui était impossible d’avoir de l’amitié pour une belle femme. Et si vous saviez ce qu’il appelait l’amour !…

» Je n’ai point la prétention d’avoir été pétrie d’un autre limon que toutes les autres créatures humaines. À présent que je ne suis plus d’aucun sexe, je pense que j’étais alors tout aussi femme qu’une autre, mais qu’il a manqué au développement de mes facultés de rencontrer un homme que je pusse aimer assez pour jeter un peu de poésie sur les faits de la vie animale. Mais, cela n’étant point, vous-même, qui êtes un homme, et par conséquent moins délicat sur cette perception de sentiment, vous devez comprendre le dégoût qui s’empare du cœur quand on se soumet aux exigences de l’amour sans en avoir compris les besoins… En trois jours le vicomte de Larrieux me devint insoutenable.

» Eh bien, mon cher, je n’eus jamais l’énergie de me débarrasser de lui ! Pendant soixante ans, il a fait mon tourment et ma satiété. Par complaisance, par faiblesse ou par ennui, je l’ai supporté. Toujours mécontent de