Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à sa filleule de lui tenir compagnie, sûre que ses charmes de quatorze ans ne pouvaient entrer en lutte avec les siens. Le jeune Grec en profita, non pour parler de ses prétentions, il s’en garda bien, mais pour l’éclairer sur le véritable caractère d’Abul, qui n’était rien moins qu’un galant paladin, et qui, malgré sa douceur et sa bonté naturelle, faisait jeter une femme adultère dans un puits, ni plus ni moins que si c’eût été un chat. Il lui peignit en même temps les mœurs des Turcs, l’intérieur des harems, l’impossibilité d’enfreindre leurs lois, qui faisaient de la femme une marchandise appartenant à l’homme, et jamais une compagne ou une amie. Il lui porta le dernier coup en lui apprenant qu’Abul, outre vingt femmes dans son harem, avait une femme légitime dont les enfants étaient élevés avec plus de soin que ceux des autres, et qu’il aimait autant qu’un Turc peut aimer une femme, c’est-à-dire un peu plus que sa pipe et un peu moins que son cheval. Il engagea beaucoup Mattea à ne pas se placer sous la domination de cette femme, qui, dans un accès de jalousie, pourrait bien la faire étrangler par ses eunuques. Comme il lui disait toutes ces choses par manière de conversation et sans paraître lui donner des avertissements dont elle se fût peut-être méfiée, elles faisaient une profonde impression sur son esprit et la réveillaient comme d’un rêve.

En même temps, il eut soin de lui dire tout ce qui pouvait lui donner l’envie d’aller à Scio, pour y jouir, dans les ateliers qu’il dirigeait, d’une liberté entière et d’un sort paisible. Il lui dit qu’elle trouverait à y exercer les talents qu’elle avait acquis dans la profession de son père, ce qui l’affranchirait de toute obligation qui pût faire rougir sa fierté auprès d’Abul. Enfin, il lui fit une si riante peinture du pays, de sa fertilité, de ses