Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/260

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productions rares, des plaisirs du voyage, du charme qu’on éprouve à se sentir le maître et l’artisan de sa destinée, que sa tête ardente et son caractère fort et aventureux embrassèrent l’avenir sous cette nouvelle face. Timothée eut soin aussi de ne pas détruire tout à fait son amour romanesque, qui était le plus sûr garant de son départ, et dont il ne se flattait pas vainement de triompher. Il lui laissa un peu d’espoir, en lui disant qu’Abul venait souvent dans les ateliers et qu’il y était adoré. Elle pensa qu’elle aurait au moins la douceur de le voir ; et, quant à lui, il connaissait trop la parole de son maître pour s’inquiéter des suites de ces entrevues. Quand tout ce travail, que Timothée avait entrepris de faire dans l’esprit de Mattea, eut porté les fruits qu’il en attendait, il pressa son maître de mettre à la voile, et Abul, qui ne faisait rien que par lui, y consentit sans peine. Au milieu de la nuit, une barque vint prendre la fugitive à Torcello et la conduisit droit au canal des Marane, où elle s’amarra à un des pieux qui bordent ce chemin des navires au travers des bas-fonds. Lorsque le brigantin passa, Abul tendit lui-même une corde à Timothée, car il eût emmené trente femmes plutôt que de laisser ce serviteur fidèle, et la belle Mattea fut installée dans la plus belle chambre du navire.


VII

Trois ans environ après cette catastrophe, la princesse Veneranda était seule un matin dans la villa de Torcello, sans filleule, sans sigisbé, sans autre société pour le moment que son petit chien, sa soubrette et un vieil abbé qui lui faisait encore de temps en temps un ma-