Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/345

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sembla prendre à tâche de l’empêcher de se rétracter.

Franc et affectueux lorsqu’elle le traitait comme son frère, il devenait sceptique et moqueur dès qu’une pensée d’amour se glissait à l’insu de Jenny dans ses paroles. Cette sorte de résistance, qui intervertissait complètement l’ordre des rôles, enflamma l’intérêt et la curiosité de la jeune fille ; elle lui fit une vie de souffrance, de douleur et d’anxiété. Elle alluma dans son cœur une de ces passions romanesques si pleines d’énergie et de durée, quelque fragiles qu’en soient les éléments.

Elle avait compté d’abord sur les rapprochements forcés de la vie maritime ; elle ignorait que là, plus qu’ailleurs, Melchior pouvait échapper à ses innocentes séductions et se distraire aux chastes dangers du tête-à-tête.

Cependant le gros temps ayant confiné pendant quinze jours les passagers dans les dunettes, et cloué les officiers à la manœuvre, elle espéra encore, se disant que Melchior ne la fuyait pas, qu’il était seulement empêché de la voir, et que le beau temps le ramènerait peut-être auprès d’elle.

Les rayons matineux d’un beau soleil et le splendide aspect des montagnes d’Afrique attirèrent un jour la jeune Indienne sur le pont, avant que l’équipage fût éveillé, et lorsque Melchior achevait sa station de quart le long de la grande voile.

La rouge clarté du levant embrasait les flots, que le voisinage des bas-fonds avait fait passer du bleu de cobalt au vert émeraude.

La montagne de la Table avec sa blanche nappe de nuées, les pics du Tigre et les mornes de la côte Nathol se teignaient de reflets d’un rose argenté. Une délicieuse odeur d’herbages venait à plus de quatre lieues en mer parfumer les brises folâtres qui se jouaient dans la plissure des voiles.