Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/346

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Des troupes de pingouins et de damiers bondissaient dans l’écume que soulevait la proue du navire ; et le bel oiseau appelé manche de velours semblait à peine porter sur les flots, moins souples, moins élastiques que lui.

Jenny s’assit sur un banc sans paraître remarquer son cousin.

Il la vit bien passer, mais il ne l’aborda point, pour deux raisons : la première fut un sentiment de discrétion respectueuse ; la seconde fut l’envie d’achever son cigare, dont Jenny n’aimait point la fumée.

Cependant, lorsqu’il vit l’attitude brisée de cette triste jeune fille, un mouvement de bonhomie lui fit jeter le reste de son maryland, et il s’approcha d’elle avec autant de douceur qu’il en put mettre dans sa démarche et dans sa voix.

— À quoi donc pensez-vous, miss Jenny ? lui dit-il en s’asseyant sur le banc auprès d’elle.

— Je me demande où vont ces flots, répondit-elle en lui montrant les remous que fendait la coque du navire ; je me demande où va la vie. Peut-être faudrait-il, pour être heureux, courir comme ces vagues et ne s’attacher nulle part. C’est ainsi que vous faites, Melchior ; vous n’aimez que la mer, n’est-il pas vrai ? vous pensez que la terre n’est pas la patrie des âmes fortes.

— Ma foi, je ne sais pas quelle est la destination de l’homme, dit Melchior ; je ne m’en inquiète pas plus que de ce que devient la fumée de ma pipe quand je la jette au vent qui l’emporte ; j’aime la terre, j’aime la mer, j’aime tout ce qui passe à travers ma vie.

» Quand je suis ici, je ne sais rien de plus beau qu’un navire bien gréé, qui a le vent dans toutes ses voiles, et dont la banderole voltige au milieu d’un bataillon de pétrelles.

» Mais, quand je suis là-bas, j’aime à regarder une