Page:Sand - Nouvelles Lettres d un voyageur.djvu/114

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je m’assieds sur mon banc favori, un demi-cercle de rochers ombragé à souhait par des arbres d’une grâce orientale. À travers les branches de ceux qui s’arrondissent à la déclivité du terrain, je vois bleuir et miroiter dans les ondulations roses et violettes ce golfe de satin changeant qui a la sérénité et la transparence des rivages de la Grèce. Ce golfe de Tamaris, vu du côté est, est le coin du monde, à moi connu, où j’ai vu la mer plus douce, plus suave, plus merveilleusement teintée et plus artistement encadrée que partout ailleurs ; mais il y faut les premiers plans de ce jardin, libre de formes et de composition. Du côté sud, c’est la pleine mer, les lointains écueils, les majestueux promontoires, et là j’ai vu les fureurs de la bourrasque durant des semaines entières. J’y ai ressenti des tristesses infinies, un état maladif accablant. Tamaris me rappelle plus de fatigues et de mélancolies que de joies réelles et de rêveries douces, et c’est sans doute pourquoi j’aime mieux Tamaris, où j’ai souffert, que d’autres retraites où je n’ai pas senti la vie avec intensité. Sommes-nous tous ainsi ? Je le pense. Le souvenir de nos jouissances est incomplet quand il ne s’y mêle pas une pointe